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« L’accès à la santé est un droit et une responsabilité sociale »

Professeure adjointe à la Faculté de médecine de l’Université Laval, Kadia Saint-Onge a récemment pris les rênes de la nouvelle chaire de leadership en enseignement pour la promotion des saines habitudes de vie – Nautilus Plus. À travers cette entrevue, elle nous fait part du défi complexe que représente la promotion des saines habitudes de vie tant elle implique à la fois l’individu, l’environnement bâti et social au sein duquel il se trouve, ainsi que des facteurs sociaux, économiques, environnementaux ou encore culturels. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur les objectifs principaux de cette chaire ?

La nouvelle chaire de leadership en enseignement pour la promotion des saines habitudes de vie (CLE-SHV) poursuit 3 objectifs de natures différentes mais interreliées : 

  1. L'élaboration de contenus courts ;

  2. La mobilisation et le transfert de connaissances ;

  3. La production ou l'avancement des connaissances. 

D’une part, la chaire se veut être une entité qui va produire de nouvelles connaissances, mais pas uniquement. Nous voulons aussi mobiliser et transférer les connaissances. En effet, il y a beaucoup de connaissances qui émergent des milieux pratiques, qui sont soit sous-documentées, soit méconnues. Il y aura donc beaucoup de savoirs à puiser et à transférer de ces milieux-là dans nos cours. Nous voyons cette chaire de leadership en enseignement comme un processus dynamique de production, mobilisation, transfert et enseignement de connaissances. 

Qu’est-ce qui vous a motivée à accepter cette responsabilité ?

La promotion des saines habitudes de vie est pour moi fondamentale à la promotion de la santé. C'est un droit qui est devrait être inscrit à la charte des droits et libertés, mais auquel nous n'avons pas tous et toutes accès de manière égalitaire. C’est une de mes premières motivations.

Ensuite, les données de surveillance des soins en santé mentale et en santé globale indiquent de nombreuses lacunes dans nos niveaux de santé, voire que notre santé globale ne cesse de se détériorer. Par exemple, la santé mentale, surtout pour certaines tranches d'âge comme les jeunes adultes et les personnes adolescentes, est un aspect de la santé globale qui me préoccupe énormément. Selon moi, la santé et les habitudes de vie ne doivent pas uniquement reposer sur l'individu. Malgré la mise en place d’initiatives en ce sens, il y a fort à faire dans la manière dont la promotion des saines habitudes de vie est conçue, afin de rendre les services accessibles, adéquats et adaptés à la diversité actuelle de notre société. 

Quelles sont les principales lacunes que vous avez identifiées dans la promotion des saines habitudes de vie en général ? Et dans les milieux de travail plus spécifiquement ? 

Comme je suis aussi formée en psychologie communautaire, j'ai tendance à regarder davantage les milieux de vie, les communautés, les environnements (pas juste bâtis, mais sociaux aussi). Ces milieux représentent une grosse part des lacunes actuelles, car ils demandent beaucoup de sensibilisation mais aussi beaucoup d’engagement politique. Si nous voulons que les individus et nos communautés aillent bien, il faut être capable de construire des milieux soutenants et promoteurs de santé. C’est une vision de la promotion de la santé qui se retrouve dans la charte d’Ottawa de 1986, et dans laquelle les besoins de faire du plaidoyer et de l’action sociale en plus de l’action individuelle sont clairement exprimés. Néanmoins, il est primordial d’aller encore plus loin, car nous nous trouvons aujourd’hui dans un paradigme où l’on est très peu actif-ve et où il existe beaucoup de règles sociales, dites ou non dites, qui font en sorte que nos habitudes ne sont pas optimales pour notre santé.

Dans les milieux de travail spécifiquement, je remarque que les travailleurs-euses adoptent des tenues de plus en plus décontractées pour aller au travail. C’est une excellente tendance car cette habitude peut s’inscrire dans un mode de vie plus physiquement actif, cela peut notamment permettre d’aller au travail en vélo tout en étant confortable dans ses vêtements. Cependant, dans certains domaines comme en finances par exemple, ce n’est peu voire pas encore le cas. On est porté à croire que ce sont ces personnes-là qui, généralement, sont capables de s’offrir des abonnements au gym. 

Là où je veux en venir, c’est qu’il est important de s’assurer que tous-tes les travailleurs-euses, dans n’importe quel milieu de travail, aient accès à ces habitudes de vie saines, y compris les personnes qui n’ont pas le loisir ou la capacité financière pour cela. Comment faire ? 

  • En valorisant le transport actif par exemple ;

  • En encourageant les pauses pour que les employé-e-s puissent régénérer leur énergie, réduire leur stress, sentir qu’ils et elles sont important-e-s ;

  • En mettant à disposition une salle de recueillement, où les gens peuvent se reposer (pour certains, ça peut être juste une pause mentale, puis d'autres personnes ça leur permet de faire leur pratique spirituelle. Ça aussi, ça peut faire partie d'une habitude de vie qui est bonne pour elle, pour leur productivité aussi).

Il ne s’agit donc pas uniquement de sensibilisation aux saines habitudes de vie, mais aussi et surtout d’assurer le développement d’actions concrètes en plus de faire des plaidoyers pour demander et engager le changement, et enfin d’accompagner vers ce changement.

Comment la chaire envisage-t-elle de combler ces lacunes ?

Pour combler ces lacunes, un changement paradigmatique me semble nécessaire. Apprendre à faire de la promotion et arriver à mieux former les professionnels de la santé, notamment sur le volet social, sont autant de missions que la nouvelle chaire s’est donnée pour faire évoluer les professionnels de première ligne d’abord, le système de santé plus globalement et enfin les mœurs de la société. 

Comment la chaire prévoit de former de véritables agents de changement en matière de saines habitudes de vie ?

Les professionnels de la santé sont bien souvent confrontés à certaines barrières dans l’exercice de leurs fonctions. La première, c'est le manque de temps ; la deuxième, le manque de sentiment de compétence. Cette dernière représente un obstacle important sur lequel nous allons principalement miser pour former ces agents de changement. Pour ce faire, nous allons notamment communiquer de l’information, et augmenter la littératie en matière de saines habitudes de vie, en abordant des sujets tels que : Qu’est-ce la promotion ? Qu’est-ce que les habitudes de vie ? Sur quoi celles-ci reposent-elles ? Etc. 

Au-delà du partage d’information, je crois également qu’il faut aller militer pour du changement à l'intérieur des systèmes, incluant les systèmes de santé. C'est précisément là où nous voulons les former à devenir des acteurs de changement. Comment ? D'une part, dans leurs pratiques, en les encourageant à parler d’habitudes de vie directement à leurs patient-e-s, de façon non stigmatisante mais de façon plus soutenue. Et d’autre part, en leur donnant des outils. 

Enfin, pour former le plus grand nombre possible de leaders, nous avons prévu, dans un premier temps, de former des candidat-e-s intéressé-e-s comme des professionnel-le-s de la santé, via un programme de cours classiques. Dans un second temps, nous proposerons nos contenus en accès libre afin d’atteindre une cible plus large et d’aller chercher des agents de changement au-delà du système de santé, dans les milieux de travail par exemple, dans les organismes communautaires…

Selon vous, en quoi la sensibilisation aux enjeux environnementaux et sociaux est-elle importante dans la promotion des saines habitudes de vie ?

Je trouve que cette sensibilisation permet d’enlever beaucoup de pression sur les individus. Prenons le cas concret de l’obésité par exemple. Selon certaines études, 60% des personnes obèses le sont en raison de leur bagage génétique. C’est une réponse qui fait diminuer la pression ! De plus, de nombreux facteurs différents ont accentué cette pression au fil des années mais, la bonne nouvelle, c’est que ce qui est socialement construit peut être déconstruit. 

Aujourd’hui, un de mes plus grands souhaits serait que les citoyen-ne-s se mobilisent suffisamment pour demander les changements qui leur feraient du bien, en mettant notamment la pression sur des personnes décisionnaires comme leur employeur ou leur gouvernement.
 
L’accès à la santé et à des habitudes de vie saines est un droit, mais aussi une responsabilité sociale. Néanmoins, ces changements qui font du bien demandent malgré tout beaucoup d’adaptation et pourront s’avérer difficiles dans certains cas. Sensibiliser sur les enjeux environnementaux et sociaux peut aussi permettre aux citoyen-ne-s de participer au débat en connaissance de causes, en étant mieux informé-e-s, et ainsi de favoriser de meilleurs choix de leur part. 

Comment la promotion de saines habitudes de vie en milieu de travail peut-elle contribuer à la création d'organisations plus durables, tant du point de vue de la santé globale des employé-e-s que de la viabilité globale de l'entreprise ? 

L'offre de programmes de promotion et de suivi des habitudes de vie peut contribuer à accroitre la motivation à l'adoption et le maintien de l'activité physique, par exemple. En retour, les gains en énergie, santé et donc productivité reviennent à l'entreprise en plus de rapporter des bénéfices psychologiques aux travailleurs-euses. Qui dit gains en productivité dit gains en chiffres d'affaires, dit accroissement du pouvoir économique individuel, sociétal et planétaire - tant que ce gain est équitablement répandu dans la société. Quand des écarts se creusent dans la population, tout le monde en souffre. 

Nombreuses études qualitatives sur le sujet soulignent comme barrière à l'activité physique que les services des kinésiologues ne soient pas remboursables par les assurances-santé offertes par les entreprises. Les kinésiologues sont les expert-e-s en soutien à la motivation et au maintien de l'activité physique autant pour des activités de loisirs et des objectifs personnels de santé que pour des athlètes amateurs-trices ou de haut niveau. Les initiatives qui s'approchent de l'universalité en santé comme une offre d'assurances plus complète ont des impacts encore plus importants. Notamment, les travailleurs-euses en seraient plus satisfait-e-s de leur milieu de travail donc plus susceptibles d'y rester et d'être productifs-ves et nous revenons à mon argument précédent.

À travers la création de cette chaire, comment prévoyez-vous de sensibiliser les employeurs aux avantages des saines habitudes de vie en milieu de travail, et comment les encourager à investir dans de telles initiatives ?

La réponse habituelle serait de passer par des chiffres et de montrer qu’ils ou elles ont intérêt à mettre des initiatives favorables aux saines habitudes de vie en place, parce que leur rendement n’en sera que meilleur. Moi, j'ai aussi envie de faire appel à l'organisme en tant que tel, pour assurer une certaine cohérence entre le milieu universitaire duquel je fais partie et le terrain. Mettre en lumière les meilleures pratiques qui existent déjà et qui fonctionnent, valoriser ces milieux proactifs et travailler en étroite collaboration avec ces leaders pour amplifier le phénomène et pour en encourager d’autres à emboîter le pas. 

Comment la chaire peut-elle soutenir les employeurs dans leurs efforts pour promouvoir la santé et le bien-être de leurs employé-e-s en milieu de travail ?

J'aurais envie de leur poser la même question ! Dans un premier temps, je les soutiendrais en mettant en valeur les organisations qui ont déjà fait des démarches en ce sens et qui ont bien réussi, afin que ces exemples soient transférables, inspirent davantage et mobilisent d’autres environnements. Ensuite, je dirais en repérant les « champions » dans leurs organismes et en leur offrant une véritable tribune d’influence, car ils ou elles peuvent être n’importe où : cadre, employé-e, employeur, etc. Ces personnes seront capables de s’adapter plus facilement aux besoins des nouvelles générations, en créant notamment des environnements bienveillants et favorables à la santé et aux saines habitudes de vie, tant sur le plan « physique » dans la manière dont ceux-ci sont bâtis et agencés, que sur l’aspect des normes et des politiques à élaborer. 

En fin de compte, quel impact espérez-vous que la chaire aura sur les organisations québécoises et la société au sens large ? Quels sont les résultats que vous aimeriez voir à long terme ?

L'impact rêvé serait que nous ayons une population en meilleure santé, autant physique que mentale, avec un accès accru à des habitudes de vie qui lui plaise et qui lui font du bien. Plus concrètement, je dirais que transférer tout ce que j'observe dans les milieux pratiques en produits de connaissances serait pour moi une très grande réussite. Et, par la suite, voir les changements s’opérer dans tous les environnements grâce aux contenus qui auront suscité l’intérêt et la mobilisation des leaders. 

Pour résumer, je dirais premièrement, que l’existence de cette nouvelle chaire interpelle le monde en suscitant l’intérêt et en mobilisant ; deuxièmement qu’elle permette la réalisation et l’implantation de nouvelles initiatives dans les milieux ; troisièmement, qu’il y ait un certain rayonnement qui engendre des impacts positifs dans ces différents environnements. 

 


Cet article est un contenu extrait de la 15e édition de notre magazine. Vous pouvez la consulter dans son intégralité en cliquant sur le lien suivant : Magazine #15

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