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Le design biophilique au service des milieux de travail

Dans cette entrevue, Hubert Mansion, fondateur de l'Université dans la Nature, évoque les nombreux liens qu'il est possible d'établir entre la nature et les organisations. Il explique également ce qu'est le design biophilique et comment il peut être intégré dans nos milieux de travail.

Personnalité aux multiples talents, Hubert Mansion a débuté sa carrière en tant qu'avocat spécialisé en propriété intellectuelle, suite au succès d'une chanson écrite avec ses frères, intitulée "C'est l'amour" et interprétée par Léopold Nord et Vous. Cette expérience l'a rapidement plongé dans l'univers du « show-business » le menant, au fil des années, à accompagner de nombreux-ses artistes dans leur carrière, à travers l’Europe ou l’Amérique du Nord.

En 2014, Hubert et son épouse décident de fonder l’Université dans la Nature. Objectif de ce projet : enseigner les impacts positifs du contact avec la nature et promouvoir une vision positive de celle-ci. À travers cet article, apprenez-en plus sur le design biophilique et les différentes manières de reconnecter avec la nature. 

Tout d’abord, quel(s) lien(s) peut-on faire entre la nature et les milieux detravail ?

H. M. : Comme le dit Stephen R. Kellert, l’un des plusgrands spécialistes de la biophilie, nous n’acceptons plus que les animaux soient parqués dans les environnements ternes de certains zoos, mais nous continuons de tolérer de pareils décors pour les humains. Je ne m’explique pas comment, malgré des décennies de recherches qui démontrent l’impact de la nature dans les milieux de travail, on en soit encore là… À n’avoir dans les bureaux, pour tout contact avec la nature, qu’une photo de paysage sur un écran et l’une ou l’autre plante verte dépérissant dans un coin. Et tout ceci dans un moment où les entreprises doivent changer leur culture pour intégrer l’axe environnemental, attirer de jeunes talents très concernés par la nature, et lutter contre les problèmes de santé mentale…

Pourriez-vous nous définir ce qu’estle design biophilique ?

C’est une appellation plutôt récente. La“biophilie” désigne notre tendance instinctive àêtre attiré par le vivant. Le “biophilic design” est l’aménagement de l’intérieur prenant en compte cette attraction innée. Concrètement, il s’agit d’intégrer dans les bureaux de multiples éléments naturels (lumière, formes naturelles, plantes, eau, sons, odeurs, etc.) dans un but de santé mentale.

Plus spécifiquement, quel(s) impact(s)le design biophilique peut-il avoir surla santé globale des employé-e-s d’uneorganisation ?

D’abord, la diminution du stress et de la fatigue cognitive. Des capteurs portables, mesurant la pression sanguine, la conductivité de la peau et le cortisol salivaire, ont validé les impressions décrites par les employé-e-s. S’y ajoutent unesensation de bien-être, une augmentation de la qualité de l’air perçue et une relation plus positive envers le management.

Et sur les enjeux et la performanced’une organisation ?

Les problèmes de santé mentale coûtent 1 billion $ (un million de millions $) en perte de productivité dans le monde, selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Quarante pour cent (40%) des rotations de personnel sont dues au stress… La santé mentale des employé-e-s est donc directement liée à leur performance. C’est pourquoi, lorsque leur santé est bien gérée, le pourcentage d'employé-e-s engagé-e-s passe de 7 % à 55 %. Une recherche internationale menée dans le milieu du conseil et de l’assurance à Londres et à Amsterdam a montré une augmentation de la productivité de 15% lorsqu’on y applique les principes du "biophilic design".

Le bien-être et la créativité augmentent, la fatigue mentale diminue et l’attachement au lieu de travail est resserré, ce qui peut ainsi répondre aux inquiétudes face à la rétention des employé-e-s. Les éléments architecturaux expliquent 10 % de la variation des jours de congé de maladie pris. Comme le disait Churchill, “nous façonnons nos bâtiments et, par la suite, nos bâtiments nous façonnent”.

Que répondez-vous à ceux ou celles qui qualifieraient votre approche de « fantaisiste » (sans lien avec le travail) ou trop subjective ?

Qu’ils vivent en 1950 ! Si des entreprises comme Amazon ou Etsy adoptent le "biophilic design", ce n’est pas par fantaisie, croyez-moi. Je visitais dernièrement un des bureaux d’une grande organisation québécoise sans fenêtre ni vue sur l’extérieur, sans lumière naturelle, sans plante et sans décoration. J’ai demandé à l’employée comment elle se sentait dans un pareil endroit. Elle a levé les yeux au ciel…qu’elle ne voyait pas. C’est le décor parfait du burn-out qui affecte encore des millions de gens. On a pris l’habitude detraiter celui-ci comme une maladie individuelle ou psychologique. Mais n’est-ce pas plutôt le milieude travail qui est malsain ?

Le "biophilic design" représente une partie de la réponse. Dans les années 50, le salaire suffisait. Cen’est plus le cas au XXIème siècle. Les tables de ping-pong dans la cafétéria des années 90 ne suffiront pas non plus. Beaucoup d’employé-e-s exigent aujourd’hui du sens et de la nature.

Quels conseils aimeriez-vous partageraux milieux de travail pour favoriserla santé globale de leur personnel enutilisant le design biophilique ?

Au niveau de l’environnement de travail au bureau

Le passage au "biophilic design" doit être décidéavec les employé-e-s. Un accompagnement extérieur permet à l’organisation d’avoir une vue d’ensemble et envoie un signal positif aux membres du personnel. Il est généralement recommandé de faire un sondage préalable pour connaître leurs conditions réelles de travail et leurs demandes. Il permet d’identifier des pistes de solutions adaptées auxobjectifs (réduire le stress, augmenter l’attachement au lieu, la rétention, etc.).

De plus, les employé-e-s ont souvent de très bonnes propositions d’améliorations concrètes, qui ne sont pas forcément coûteuses si on avance par palier, selon les ressources et les besoins.

Au niveau de l’espace de télétravail à la maison

Les écrans affectent beaucoup notre système visuel. Nous perdons l’habitude de regarder loin, ce qui est très dommageable, et d’aller dehors, ce quil’est encore plus. Pourtant, ces deux activités sont essentielles pour la santé du cristallin et celle de notre système visuel. À l’Université dans la Nature, nous recommandons la « règle des 3X20 » : après 20 minutes d’ordinateur, regardez un élément naturel à 20 mètres de distance pendant 20 secondes. Pour celles et ceux qui n’ont pas de vue sur la nature, il est aussi utile d’afficher chez soi des images de nature. Les sons naturels jouent également un rôle important, comme le bruit de l’eau. Les solutions sont donc nombreuses et pas forcément dispendieuses.

Au niveau des pratiques de gestion de l’employeur

On considère aujourd’hui que chaque dollar investi dans la santé sur le lieu de travail permet d'économiser 5,81 dollars. Les effets du "biophilic design" sont démontrés. Ces dépenses sont donc des investissements qui augmentent l’engagement et la performance du personnel. J’invite donc les gestionnaires à intégrer dans leurs pratiques de gestion la question suivante : comment se sentent nos employé-e-s dans leur lieu de travail ?

Comment éviter de tomber dans le « diverdissement » (mot-valise quevous utilisez, issu de la contraction deverdir et divertissement) ?

J’ai inventé ce mot pour désigner une sorte de verdissement qui ne sert au fond qu’à faire semblant qu’on intègre la nature. Si le contact avec celle-ci est un besoin fondamental, pourquoi la traiter comme un accessoire ?
À un niveau plus global, nous partageons cette Terre avec d’autres vivants et nous devons réapprendre à vivre ensemble, à sortir de cette sorte de mentalité coloniale que nous avons envers les non-humains. Cela demande une prise de conscience profonde.

Selon vous, par quelle(s) initiative(s) l’employeur et l’employé-e peuvent-ils/elles respectivement commencer pour se rapprocher de la nature et l’intégrer dans leur environnement quotidien ?

Le "biophilic design" s’insère dans les objectifs 3 (assurer une vie saine et promouvoir le bien-être) et 11 (rendre les villes et les établissements humains inclusifs, sûrs, résilients et durables) du développement durable (ODD). Mais pour que ceux-ci ne soient pas une expression vaine, il faut l’adhésion des employé-e-s. Comment faire ? La psychologie environnementale nous dit que l’affect et l’expérience concrète, parce qu’ils créent du lien avec la nature, déclenchent l’envie d’agir. Ainsi les dirigeant-e-s qui ont vécu les conséquences du réchauffement climatique dans leur vie personnelle sont statistiquement plus enclin-e-s à restructurer leur entreprise que les autres.

C’est pour cela que j’aimerais souligner l’importance pour les organisations d’offrir un accompagnement des dirigeant-e-s, des employé-e-s, en forêt, pendant quelques heures. Ils y feront l’expérience directe de son impact sur leur santé mentale et physique. Ils en ressortiront généralement avec une vision bouleversée du monde naturel et des outils pratiques pour améliorer leur santé physique et mentale... Après une expérience concrète, nombreux-ses sont ceux ou celles qui cherchent à instaurer un contact avec la nature dans leur travail. C’est le premier pas.

 


Cette entrevue est un contenu extrait de la 13e édition de notre magazine. Vous pouvez la consulter dans son intégralité en cliquant sur le lien suivant : Du renouveau pour le 13e numéro de notre magazine !

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